lundi 30 novembre 2015

L'humeur automnale



 Antonin Slavicek, Dans le brouillard d'automne

« Plus la saison était triste, plus j’étais heureux. J’ai toujours aimé l’automne ; la pluie, les vents, les frimas, en rendant les communications moins faciles, isolent les habitants des campagnes ; on se sent à l’abri des hommes. Je voyais avec un plaisir toujours nouveau s’approcher la saison des tempêtes, les corneilles se rassembler dans la prairie de l’étang en innombrables bataillons, et venir se percher à l’entrée de la nuit sur les plus hauts chênes du grand bois ; lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour d’une forêt, et que j’entendais tomber les feuilles, j’étais alors dans la disposition la plus naturelle à mon cœur. Si en regagnant le château je rencontrais quelque laboureur à l’orée d’un champ, je m’arrêtais pour contempler cet homme né parmi les gerbes où il devait être moissonné et qui pour ainsi dire retournant la terre de son tombeau avec le soc de sa charrue, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l’automne. Ce sillon qu’il venait de creuser était le monument destiné à lui survivre ; j’ai vu les pyramides du désert, et ces sillons abandonnés sous mes bruyères ; les uns comme les autres n’attestent que les travaux et la rapidité des jours de l’homme. »

François-René de Chateaubriand, Mémoires de ma vie, Livre III

3 commentaires:

  1. Je préfère la version (ultérieure?) qu'on retrouve dans les Mémoires d'outre-tombe (Partie I, Livre III ) (et que je viens de découvrir grâce à vous) :

    " Plus la saison était triste, plus elle était en rapport avec moi : le temps des frimas, en rendant les communications moins faciles, isole les habitants des campagnes : on se sent mieux à l’abri des hommes.

    Un caractère moral s’attache aux scènes de l’automne : ces feuilles qui tombent comme nos ans, ces fleurs qui se fanent comme nos heures, ces nuages qui fuient comme nos illusions, cette lumière qui s’affaiblit comme notre intelligence, ce soleil qui se refroidit comme nos amours, ces fleuves qui se glacent comme notre vie, ont des rapports secrets avec nos destinées.

    Je voyais avec un plaisir indicible le retour de la saison des tempêtes, le passage des cygnes et des ramiers, le rassemblement des corneilles dans la prairie de l’étang, et leur perchée à l’entrée de la nuit sur les plus hauts chênes du grand Mail. Lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour des forêts, que les complaintes ou les lais du vent gémissaient dans les mousses flétries, j’entrais en pleine possession des sympathies de ma nature. Rencontrais-je quelque laboureur au bout d’un guéret, je m’arrêtais pour regarder cet homme germé à l’ombre des épis parmi lesquels il devait être moissonné, et qui, retournant la terre de sa tombe avec le soc de la charrue, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l’automne : le sillon qu’il creusait était le monument destiné à lui survivre. Que faisait à cela mon élégante démone ? Par sa magie, elle me transportait au bord du Nil, me montrait la pyramide égyptienne noyée dans le sable, comme un jour le sillon armoricain caché sous la bruyère : je m’applaudissais d’avoir placé les fables de ma félicité hors du cercle des réalités humaines."

    Au plaisir... automnal.





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  2. En effet Cédric, les « Mémoires de ma vie » furent le premier jet des « Mémoires d’outre-tombe ». Quand je reprends mes passages favoris, je privilégie souvent la version initiale pour son ton moins recherché et plus sentimental.

    Bien à vous.

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  3. Pour prolonger l'écho et le plaisir, voici deux phrases de Cioran, que vos yeux ont certainement déjà rencontrées :

    "Les dernières feuilles tombent en dansant. Il faut une grande dose d’insensibilité pour faire face à l’automne." (Aveux et anathèmes)

    " Le spectacle de ces feuilles si empressées de tomber, j'ai beau l'observer depuis tant d'automnes,
    je n'en éprouve pas moins chaque fois une surprise où « le froid dans le dos » l'emporterait de loin
    sans l'irruption, au dernier moment, d'une allégresse dont je n'arrive pas à démêler l'origine. " (De l'inconvénient d'être né)

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