lundi 30 novembre 2015

L'humeur automnale



 Antonin Slavicek, Dans le brouillard d'automne

« Plus la saison était triste, plus j’étais heureux. J’ai toujours aimé l’automne ; la pluie, les vents, les frimas, en rendant les communications moins faciles, isolent les habitants des campagnes ; on se sent à l’abri des hommes. Je voyais avec un plaisir toujours nouveau s’approcher la saison des tempêtes, les corneilles se rassembler dans la prairie de l’étang en innombrables bataillons, et venir se percher à l’entrée de la nuit sur les plus hauts chênes du grand bois ; lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre au carrefour d’une forêt, et que j’entendais tomber les feuilles, j’étais alors dans la disposition la plus naturelle à mon cœur. Si en regagnant le château je rencontrais quelque laboureur à l’orée d’un champ, je m’arrêtais pour contempler cet homme né parmi les gerbes où il devait être moissonné et qui pour ainsi dire retournant la terre de son tombeau avec le soc de sa charrue, mêlait ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l’automne. Ce sillon qu’il venait de creuser était le monument destiné à lui survivre ; j’ai vu les pyramides du désert, et ces sillons abandonnés sous mes bruyères ; les uns comme les autres n’attestent que les travaux et la rapidité des jours de l’homme. »

François-René de Chateaubriand, Mémoires de ma vie, Livre III

samedi 14 novembre 2015

Ces agneaux sont des loups


Les patients qui, ce matin, m’ont spontanément livré leur interprétation des événements dramatiques de Paris et les réponses qui leur semblent souhaitables, l’ont tous fait en manifestant violence radicale, repli identitaire, essentialisation des musulmans. Leur esprit, désorienté par la peur et ivre d’une brutalité qui au fond les fascine, s'abandonnait ainsi aux mêmes engrenages que celui du premier terroriste venu. Un type que j’apprécie dans la vie de tous les jours, abonné de longue date à Charlie Hebdo, a suggéré « d’attaquer ceux qui nous attaquent » en envoyant « nos » avions de chasse raser La Mecque…
L’horreur appelle donc l’horreur. Les institutions ne sont que des garde-fous fragiles, auxquels le quidam ne consent que pour se préserver d’abord lui-même. S’il éprouve l’impression que les remparts de la civilisation ne protègent plus assez ses intérêts, le voilà prompt à les enjamber pour laisser s’exprimer une sauvagerie longtemps refoulée. L’homme restera toujours un loup pour l’homme, que ce soit au nom d’une religion, d’une idéologie, d’un mode de vie. Dès lors, reste comme seul sauveur de l’espèce humaine celui qui ne croit justement en aucun salut, et qui, attendant calmement sa propre disparition, laisse vivre les autres, sans imaginer un instant que le monde puisse réellement se conformer à ses représentations illusoires ni satisfaire ses vaines espérances.