Antonin Slavicek, Dans le brouillard d'automne
« Plus la saison était triste, plus j’étais heureux.
J’ai toujours aimé l’automne ; la pluie, les vents, les frimas, en rendant
les communications moins faciles, isolent les habitants des campagnes ; on
se sent à l’abri des hommes. Je voyais avec un plaisir toujours nouveau s’approcher
la saison des tempêtes, les corneilles se rassembler dans la prairie de l’étang
en innombrables bataillons, et venir se percher à l’entrée de la nuit sur les
plus hauts chênes du grand bois ; lorsque le soir élevait une vapeur bleuâtre
au carrefour d’une forêt, et que j’entendais tomber les feuilles, j’étais alors
dans la disposition la plus naturelle à mon cœur. Si en regagnant le château je
rencontrais quelque laboureur à l’orée d’un champ, je m’arrêtais pour
contempler cet homme né parmi les gerbes où il devait être moissonné et qui
pour ainsi dire retournant la terre de son tombeau avec le soc de sa charrue, mêlait
ses sueurs brûlantes aux pluies glacées de l’automne. Ce sillon qu’il venait de
creuser était le monument destiné à lui survivre ; j’ai vu les pyramides
du désert, et ces sillons abandonnés sous mes bruyères ; les uns comme les
autres n’attestent que les travaux et la rapidité des jours de l’homme. »
François-René de Chateaubriand, Mémoires de ma vie, Livre
III