samedi 14 novembre 2015

Ces agneaux sont des loups


Les patients qui, ce matin, m’ont spontanément livré leur interprétation des événements dramatiques de Paris et les réponses qui leur semblent souhaitables, l’ont tous fait en manifestant violence radicale, repli identitaire, essentialisation des musulmans. Leur esprit, désorienté par la peur et ivre d’une brutalité qui au fond les fascine, s'abandonnait ainsi aux mêmes engrenages que celui du premier terroriste venu. Un type que j’apprécie dans la vie de tous les jours, abonné de longue date à Charlie Hebdo, a suggéré « d’attaquer ceux qui nous attaquent » en envoyant « nos » avions de chasse raser La Mecque…
L’horreur appelle donc l’horreur. Les institutions ne sont que des garde-fous fragiles, auxquels le quidam ne consent que pour se préserver d’abord lui-même. S’il éprouve l’impression que les remparts de la civilisation ne protègent plus assez ses intérêts, le voilà prompt à les enjamber pour laisser s’exprimer une sauvagerie longtemps refoulée. L’homme restera toujours un loup pour l’homme, que ce soit au nom d’une religion, d’une idéologie, d’un mode de vie. Dès lors, reste comme seul sauveur de l’espèce humaine celui qui ne croit justement en aucun salut, et qui, attendant calmement sa propre disparition, laisse vivre les autres, sans imaginer un instant que le monde puisse réellement se conformer à ses représentations illusoires ni satisfaire ses vaines espérances.

4 commentaires:

  1. Oui, mais il y a tout de même une différence fondamentale entre ces réactions verbales et un terroriste. Ce sont les actes.

    Donnez une kalachnikov à un de ces patients pour aller tuer des musulmans qui n'ont le seul tort que d'être musulmans au lendemain d'attentats terroristes, il réfléchira à deux fois et il la reposera cette kalach.

    Bref, entre les paroles et les actes... Mais je ne vous apprends rien.

    Il m'est d'ailleurs avis qu'un grand nombre d'humains agissent mieux qu'ils ne pensent.

    Un vrai plaisir de m'égarer ici.

    Au plaisir, donc.

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  2. La formule d'Horace reprise par Hobbes puis Freud est très injuste...pour les loups ! Voilà un animal qui respecte les codes, obéit à la loi du groupe, comprend l'intérêt supérieur de la meute, pratique une solidarité active dans la chasse, le partage ou le danger. Certes, quelques adolescents chercheront bien à se mesurer au chef dès que leur puissance le leur permettra. Ils rentreront dans le rang ou recomposeront une nouvelle hiérarchie.
    L'homme est d'abord un homme pour l'homme, peut-être est-ce cela qui est le plus difficile à penser. Comment sortir de la tautologie ? L'homme n'est rien d'assignable, tout juste une indétermination primitive qui ne le sauve...de rien.

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  3. Votre observation nous ramène à Cioran, cher Cédric. Mais selon lui, il ne s’agit que d’une preuve – une de plus, Démocrite – de la médiocrité de notre espèce.

    « Quelle que soit la grande ville où le hasard me porte, j'admire qu'il ne s'y déclenche pas tous les jours des soulèvements, des massacres, une boucherie sans nom, un désordre de fin du monde. Comment, sur un espace aussi réduit, tant d'hommes peuvent-ils coexister sans se détruire, sans se haïr mortellement ? Au vrai, ils se haïssent, mais ils ne sont pas à la hauteur de leur haine. Cette médiocrité, cette impuissance sauve la société, en assure la durée et la stabilité. De temps en temps il s'y produit quelque secousse dont nos instincts profitent ; puis, nous continuons à nous regarder dans les yeux comme si de rien n'était et à cohabiter sans nous entre-déchirer trop visiblement. Tout rentre dans l'ordre, dans le calme de la férocité, aussi redoutable, en dernière instance, que le chaos qui l'avait interrompu. »

    Cioran, Histoire et utopie

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  4. "Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint / Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins ! "

    ...

    Les chèvres de l'Orée vous saluent alors que souffle un vent à les décorner, cher Praticien sidéré.

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