lundi 21 septembre 2015

Par la diagonale


"Je me sens la tête et quelquefois le cœur gonflés, mais je ne puis rien achever et pour ainsi dire rien entreprendre. Je trouve le soir que le devoir a pris tout mon temps : il faut s’endormir comme la veille sans avoir pu suivre aucune de mes vues... Le besoin de produire sans explosion possible ! Il y a de quoi crever. Jugez de la fermentation ! C’est tout juste la machine de Papin. Quelquefois, pour me tranquilliser, je pense (sincèrement, sur mon honneur !) que ces espèces d’inspirations qui m’agitent comme une pythonisse ne sont que des illusions, de sottes bouffées du pauvre orgueil humain, et que si j’avais toute ma liberté, il n’en résulterait à ma honte qu’un "ridiculus mus". D’autres fois, j’ai beau m’exhorter aussi bien que je puis à la raison, à la modestie, à la tranquillité, une certaine force, un certain gaz indéfinissable m’enlèvent malgré moi comme un ballon. Je me perds dans les nues, je voudrais faire... Je voudrais, je ne sais pas trop ce que je voudrais. Peut-être que les circonstances me feront vouloir, à la fin, une seule chose. Tiraillé d’un côté par la philosophie et de l’autre par les lois, je crois que je m’échapperai par la diagonale..."

Joseph de Maistre - Lettre au marquis de Barol, 24 juillet 1785

2 commentaires:

  1. Je viens de découvrir votre blogue grâce au Philosophe sans qualités et je dois dire que votre dérive me plait bien. Il faut dire que la dérive et la déroute font subsister ce décalage salvateur qui fait l'intensité du vivre et parfois le choc inattendu de la création.
    J'incite donc mes lecteurs à la féconde dérive.
    Bien à vous.

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  2. Merci, Démocrite. Je vois la déroute comme l’inverse d’un acte de foi : un état de lucidité. Et après tout, la dérive est l’abandon à une déroute répétée, jour après jour. Nous savons donc, nous deux comme les quelques personnes qui voyagent de cette façon, que cette aventure se passe sans véritable compagnie. Au moins reste-t-il le privilège de se reconnaître et se faire signe dans le désert de la multitude – existe-t-il politesse plus authentique ?
    Bien à vous,
    La Pègre

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