vendredi 27 février 2015

Métamorphose de l'amante

Elle trône au premier rang des profils de patients pénibles, la mante. Cette mégère castratrice ne consulte jamais pour elle-même, mais accompagne systématiquement son mari, rebaptisé sans vergogne « Pupuce », « Bébé », ou « Trésor » devant toute la salle d'attente. Lui arrive le regard bas, la main molle. Il ne peut pas en placer une. Maman a préparé sa liste de plaintes, qu’elle débite comme chez l'épicier en affichant son sourire gênant, juste destiné à enrober une autorité déplacée. Elle vient scruter le poids sur la balance, elle tente de deviner à l’avance les chiffres tensionnels, elle déblatère pendant l’auscultation pulmonaire, elle suggère la prescription du haut de son Larousse médical. Et lui ne dit toujours rien ; ou s'il tente de lui couper la parole, son élan de rébellion sera vite écrasé sous un sarcasme qui se veut anodin mais en dit bien assez. Ce n’est plus une femme, c’est une infâme. J'abrège la consultation pour raccourcir le supplice - le mien, car celui du malheureux ne prendra fin que dans la tombe : la mante a naturellement une espérance de vie supérieure à celle de son conjoint.

Mantis religiosa

3 commentaires:

  1. Tout s'est fait très progressivement. Au début il trouvait ça assez confortable. Maintenant Monsieur n'a plus la force de s'extirper de l'étouffoir. En général Madame impose une seule boîte mail pour eux deux, le couple. Un jour une collègue qui ne sera pas insensible à son regard vaincu et triste, lui enverra un message bien anodin. Madame décidera de le supprimer et grondera un peu Monsieur. Il ne donnera plus jamais son adresse mail, ni rien. Il ne tardera pas à devenir invisible, mort.

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  2. Catherine, voilà une parfaite poursuite du cas clinique.
    Bien à vous,
    La Pègre

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  3. Pour prolonger la métaphore médicale, voilà très exactement l'illustration de ce que j'appelle le "syndrome de la bonne femme", la colonisation virale des forces réactives passant de l'une à l'autre. Il n'est pas ici question de genre mais de "type de vie" pour parler comme Nietzsche.
    Votre témoignage, cher Eric, n'est pas sans me rappeler cet article rédigé jadis sur ce sujet : http://clinamen.canalblog.com/archives/2011/08/11/21775244.html
    Bien à vous

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