jeudi 8 octobre 2015

Les rivages sont des mirages

 William Turner, Port Ruysdael

Plus jeune, je croyais à l’idée de Progrès. Il faut dire aussi que je croyais en l’Homme. La conscience de l'incurable absurdité de mon existence et l’exercice de la médecine auprès des autres me lavèrent petit à petit de ces illusions. Ni "l’Homme", ni "le Progrès", pas plus que "le Peuple" ou que sais-je encore, ne méritent leurs majuscules emphatiques et idéalistes. L'homme ? Ce terme ne désigne plus que celui qui se tient devant moi. Le progrès ? Un confort provisoire, n'ayant rien de plus à offrir qu'un simple sursis. Le peuple ? Une somme d'individus domestiqués par la distraction ou par l'intérêt. Alors je me retranchai dans ma bibliothèque, et pour conjurer les fadaises auxquelles j'avais cru, me tournai vers les écrivains réactionnaires. J'appliquai sur mes plaies le sel de leur style dévastateur, tellement plus stimulant que le miel des prédicateurs du bonheur à venir. Las ! Au fil des pages je m’aperçus que la nostalgie de ces éternels mécontemporains était comme polluée, relevant trop souvent d’une semblable idée de perfectibilité du réel, mais à rebours. Le "monde meilleur" est une espérance chez les progressistes et un regret chez les réactionnaires ; au bout du compte, ces deux camps apparemment opposés pataugent dans la même illusion. Et voilà comment le souffle de l'intranquillité fait dériver mon esprit vers un pessimisme de plus en plus épuré, au large de tout rivage où se reposer.

jeudi 1 octobre 2015

Il ne doit en rester qu'un

Ces derniers temps, aucun journaliste n’a manqué de nous annoncer dans la joie le redémarrage de la croissance grâce à la consommation des ménages. Les économistes, évidemment les seuls interviewés dans l’urgence de cette bonne nouvelle, poussent des soupirs de soulagement : le consumérisme est une nouvelle fois validé comme la panacée de la bonne marche du monde. Peu importe qu’il s’agisse du plus grand totalitarisme de l’histoire. Et le génocide culturel le plus doux, le plus intime, donc le plus redoutablement efficace, va pouvoir se poursuivre. Car il ne doit en rester qu’un – en sept milliards d’exemplaires.
Au nom de la télévision, de la publicité et de la carte bancaire, Sainte-Trinité de la consommation, amen.